L’immunité parlementaire du député de l’Ain Damien Abad a été levée mercredi 24 mai par le bureau de l’Assemblée nationale. Visé par des accusations de tentatives de viol, l’ancien ministre des Solidarités souhaitait « être entendu par la justice comme n’importe quel autre citoyen et ce, sous quelque régime que ce soit ». Jean-Pierre Camby revient sur la protection offerte par le mandat parlementaire ainsi que sur les conséquences de la levée de l’immunité parlementaire pour le député de l’Ain.
En quoi consiste l’immunité parlementaire ?
La protection du mandat parlementaire est double. Elle résulte du fait que le mandat représentatif s’exerce au nom du peuple et qu’il s’agit de l’exercice d’une mission de souveraineté.
Il en découle que les votes ou expressions des parlementaires dans l’exercice du mandat sont totalement libres et ne peuvent donner lieu à des actions judiciaires, quelles qu’elles soient : poursuite, arrestation, détention, jugement. Cette protection est dite irresponsabilité -non au sens courant du terme- mais dans l’acception juridique de cette expression. Il est impossible de qualifier pénalement les positions qui interviennent dans le cadre des fonctions du parlementaire. Le vote de la loi et le contrôle de l’action gouvernementale relèvent de l’exercice de la souveraineté. Ce principe constant découle de la nature même du mandat. Il est inscrit au premier alinéa de l’article 26 de la Constitution de 1958. Il fait totalement obstacle aux poursuites pour ce qui relève de l’exercice du mandat. La protection est imprescriptible. Elle ne pourrait être écartée que pour des poursuites relevant de juridictions internationales si le traité applicable le prévoit[1].
La partition est clairement établie entre l’exercice des fonctions et les actes qui en sont détachables, même s’il existe un lien : les mêmes propos écrits dans un rapport parlementaire ou tenus dans les médias sont, les premiers protégés, les autres susceptibles de donner lieu à poursuites. On ne peut que critiquer le seul cas, même marginal et resté au stade de la première instance, dans lequel un juge pénal écarte l’immunité parlementaire en tentant d’établir une distinction, infondée en droit, entre un rapport d’information et les rapports de commission d’enquête, ce qui est contraire à la lettre même de la Constitution et à toute la jurisprudence[2].
L’immunité parlementaire, prévue au deuxième alinéa de l’article 26 de la Constitution, est distincte de l’irresponsabilité, dans son objet, dans son étendue et dans son régime juridique. Elle vise aussi à protéger le mandat, mais sa justification tient plutôt de la séparation des pouvoirs. Il s’agit de faire obstacle à ce que le juge intervenant « en matière criminelle ou correctionnelle » ne puisse au cours d’une instruction, bloquer l’activité du parlementaire en décidant d’une mesure restrictive de liberté, sans y être autorisé par l’assemblée concernée. Elle ne concerne que de telles mesures, ce qui exclut la convocation simple par un juge aux fins d’audition, qui ne nécessite pas de levée d’immunité parlementaire. En revanche la garde à vue ou l’incarcération ne sont possibles qu’une fois l’immunité levée. Il s’agit d’une protection statuaire, l’intéressé ne peut s’en dépouiller lui-même. Mais elle ne couvre que la durée du mandat.
L’immunité parlementaire a-t-elle une valeur absolue ?
L’immunité n’a donc pas une valeur absolue. Sauf lorsque le délit est flagrant, le juge doit seulement demander l’autorisation à l’assemblée concernée d’exercer des actes de contrainte à l’encontre de l’un de ses membres. La levée de l’immunité n’a jamais été refusée pour entraver l’action du juge dans les cas où les faits reprochés relèvent du droit commun. En revanche, elle sert à protéger le parlementaire si le fondement des poursuites était politique. On peut citer nombre d’exemples d’accusation ayant conduit à la levée de l’immunité : malversation, blanchiment, achat de voix, corruption, fraude fiscale, détournement de fonds publics, agressions, viol… En principe, la transmission de la situation fiscale et la procédure de mise en conformité éventuelle mises en place en 2017 conduisant à une déchéance de mandat à défaut de régularisation devraient tarir les demandes liées à des infractions fiscales.
Un parlementaire est ainsi protégé contre les intrusions de la justice. En revanche, l’immunité ne saurait permettre qu’il bénéficie d’une protection personnelle exceptionnelle. Le devoir d’exemplarité, parfois évoqué, le place même souvent alors de facto dans une situation plus défavorable que le justiciable ordinaire. La notoriété ou l’exercice de fonctions ministérielles n’est donc nullement un bouclier, bien au contraire. Les faits reprochés à M. Abad ont d’ailleurs été révélés après sa nomination au gouvernement, en mai 2022, sans nuire à sa réélection dans la 5 e circonscription de l’Ain le 19 juin mais le conduisant à quitter le gouvernement dès le mois suivant.
La levée de l’immunité parlementaire crédibilise, médiatiquement, les poursuites aux yeux de l’opinion publique qui ne saurait admettre une protection injustifiée. Dans un nombre élevé de cas, l’intéressé est finalement condamné, ce qui confirme que la protection est adaptée à son objet et ne saurait couvrir des actes pénalement répréhensibles.
Pourquoi l’immunité parlementaire de Damien Abad a-t-elle été levée maintenant ?
C’est pour exercer une nécessaire mesure de contrainte, à savoir une mise en garde à vue, à ce stade de l’instruction, que le procureur général près la Cour d’appel de Paris a dû demander la levée d’immunité, le 6 avril 2023, transmise par le garde de sceaux le 9 mai et accordée le 24 mai. L’enquête, qui porte sur des accusations de tentative de viol largement relayées par la presse, peut ainsi se poursuivre par une mesure coercitive.
Lorsque la mesure n’apparaît pas nécessaire, la demande est rejetée mais peut toujours être de nouveau présentée (Cela a été le cas du sénateur Serge Dassault les 8 janvier et 12 février 2014).
A qui revient-il de statuer sur les demandes de levée d’immunité ?
Avant 1995, où il y avait deux sessions parlementaires ordinaires par an, lorsqu’une assemblée siégeait, la levée de l’immunité parlementaire était débattue en séance publique et entre les sessions elle était décidée par le Bureau de l’assemblée concernée. Du fait du passage à une session continue depuis la révision constitutionnelle du 4 août 1995, l’examen en séance publique est apparu comme une procédure trop lourde, d’autant que certains justiciables y voyaient le moyen d’obtenir une publicité de leur opposition à l’élu contesté et que les débats prenaient parfois un tour politique confrontant majorité et opposition.
Depuis cette date, il revient, en application de l’article 9 bis de l’ordonnance du 17 novembre 1958 (loi du 29 janvier 1996), au Bureau de chaque assemblée d’accorder ou de refuser la levée de l’immunité. Le Bureau n’est pas pour autant une instance judiciaire. Il ne se prononce ni sur la qualification pénale, ni sur la réalité des faits invoqués dans la demande. Mais cette demande doit énoncer les motifs, donc les faits qui sont reprochés, et les mesures envisagées, en l’espèce la garde à vue. Selon les termes des décisions, repris dans celle concernant M. Abad, le Bureau « doit simplement apprécier le caractère sérieux, loyal et sincère de la demande » et si elle est rendue nécessaire, à ce stade de l’instruction. Il a considéré que ces conditions étaient remplies, et a donc logiquement, à l’unanimité, accepté la demande.
Quelles sont les conséquences de la levée de l’immunité parlementaire de Damien Abad ?
M Abad continue d’exercer son mandat parlementaire, même si l’enquête en trouble nécessairement l’exercice. A ce stade, il faut donc s’attendre à court terme à un placement en garde à vue, sous le régime de droit commun.
[1] Conseil constitutionnel n° 99-408 DC 22 janvier 1999 Notes Genevois, « Le Conseil constitutionnel et le droit pénal international. À propos de la décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999 », Revue française de droit administratif, 1999, n° s.n., p. 285-313 et Observations complémentaires », Revue française de droit administratif, 1999, n° s.n., p. 717-721, Ligneul Revue administrative, 1999, n° s.n., p. 595-601, Schoettl, RDP 1999 p1037, Turpin RDP 2003 p. 105, et plus de 50 commentaires relevés sur le site du Conseil constitutionnel
[2] TC Paris 31 e chambre 29 mars 2021 n° 20247001511, note Avril, Camby et Schoettl, petites affiches, octobre 2021 p . 40 201 e2